Didier Raoult accusé de fraude scientifique: que faut-il croire?

Un article au vitriol sur Didier Raoult publié à l’époque où les médias et les politiques lui tressaient encore des couronnes de lauriers.
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RL, Libération

Published

March 28, 2020

Depuis le début de la crise du Covid-19, le professeur Didier Raoult s’est imposé comme une figure incontournable du débat public à grands renforts de déclarations péremptoires et d’interviews fleuves.

Sans surprise, la publication des résultats de son étude évaluant l’efficacité d’un traitement combinant chloroquine et azithromycine a donc reçu une grande attention médiatique. Et compte tenu de la réputation sulfureuse du Pr. Raoult et du caractère sensible de l’étude, il n’est pas surprenant que la communauté scientifique se soit elle aussi penchée sur les résultats avec un regard critique particulièrement acéré.

Approuvée le 6 mars, soumise le 16 mars et publiée le 20 mars, cette étude fait actuellement l’objet d’accusations de négligence voire de fraude scientifique de la part d’un certain nombre de chercheurs et de journalistes scientifiques. Parmi eux, le coriace Leonid Schneider — qui fut déjà à l’origine de l’affaire Catherine Jessus en 2017 — a publié un billet de blog particulièrement violent à l’encontre du Pr. Raoult. Et comme lors de l’affaire Jessus, ce nouveau billet mélange faits avérés, accusations ad hominem, et «preuves» de fraude scientifique.

Face à ce qu’il faut bien appeler un torrent de boue, que faut-il croire?

Attaques personnelles, accusations de fraude et critiques méthodologiques

Comme souvent dans ce genre de situation, il y a les faits objectifs, les hypothèses à vérifier et les éléments de contexte qui contribuent à noircir inutilement le tableau.

Je ne m’attarderai pas sur la seconde partie du billet de Schneider, qui accuse le Pr. Didier Raoult d’être un tortionnaire n’hésitant pas à détruire en public ses étudiants, un misogyne ayant tenté d’étouffer une affaire de harcèlement sexuel au sein de son institut ou encore un climatosceptique de la première heure. Compte tenu de son ego surdimensionné et de sa propension à dénigrer ses pairs, il n’est pas étonnant que le Pr. Raoult se soit fait de nombreux ennemis et ce n’est pas à moi de juger de la véracité des faits exposés, aussi préoccupants qu’ils paraissent. Mais si l’on veux à tout prix tirer le portrait de l’homme derrière le chercheur, il ne faudra pas oublier que l’on parle tout de même d’un médecin qui a dédié sa vie à traiter des malades et à faire avancer l’infectiologie.

Au rang des hypothèses à vérifier, on compte un certain nombre d’accusations graves de fraude scientifique liées à certaines publications récentes cosignées par le Pr. Raoult. Mais d’une part, les manipulations d’images et les erreurs de séquençage dont il est question devront faire l’objet d’une enquête approfondie avant d’être considérées comme constituant une preuve de fraude. Et d’autre part, le Pr. Raoult n’est qu’auteur intermédiaire sur la plupart de ces études: vu le nombre démentiel d’articles qu’il publie chaque année, il est très peu probable que ces fautes — si elles sont avérées — soient le résultat d’une intervention directe de sa part.

A mon sens, cet empilement d’accusations ressemble plus à une chasse à l’homme qu’à une critique scientifique, et il fait perdre de vue la question essentielle: faut-il ou non placer nos espoirs dans le traitement proposé par le Pr. Didier Raoult? Ici, ce ne sont plus les propos et les insinuations de Leonid Schneider qu’il s’agit d’examiner, mais les faits mis en évidence par d’autres chercheurs en activité.

Triple-casquette et statistiques bancales

Avant d’entrer dans le vif du sujet, on grincera tout de même des dents en remarquant que l’éditeur-en-chef de la revue dans laquelle l’article a été publié n’est autre que Jean-Marc Rolain, qui est également co-auteur et subalterne du Pr. Raoult au sein de l’IHU Méditerranée. Ce genre de triple-casquette est généralement très mal vue dans le monde académique, car il devient alors difficile de croire les yeux fermés à une évaluation impartiale et non-biaisée de la qualité scientifique du travail rapporté.

Si la plupart des critiques ont été émises sur le site Pubpeer (plateforme d’évaluation a posteriori des papiers scientifique) ou sur le site MedRxiv (plateforme de publication rapide avant l’évaluation par les pairs), il faut d’abord se tourner vers le rapport très concis mis en ligne par trois chercheurs britanniques sur le site Zenodo. Preuve de l’attention qu’il suscite, ce rapport a été téléchargé plus de 18 000 fois en 5 cinq jours.

Les auteurs du rapport indiquent tout d’abord que le papier n’a subi quasiment aucune modification entre sa mise en ligne sur MedRxiv et sa publication “officielle” dans le journal de Jean-Marc Rolain. Cela signifie que les “reviewers” chargés de déceler d’éventuels problèmes méthodologiques n’en ont trouvé aucun ou que leurs critiques n’ont pas été entendues.

Or les critiques sont nombreuses et souvent légitimes:

• Les analyses statistiques rapportées dans le papier sont imparfaites puisque les différences d’âge et de symptômes entre les différents groupes testés n’ont pas été prises en compte. Ceci dit, une réanalyse des données montre que les effets principaux tiennent lorsque l’on prend en compte ces variables.

• L’existence possible (et probable) de biais dans la manière dont les groupes de patients ont été constitués. Ainsi, les patients du groupe contrôle (c’est à dire, sans traitement) ne furent pas tous pris en charge par l’institut du Pr. Raoult, contrairement aux patients recevant de la chloroquine. Cependant, les patients du groupe contrôle étant en moyenne plus jeunes et moins souvent de sexe masculin, cette absence de randomisation n’invalide probablement pas à elle seule les conclusions de l’étude.

• Bien plus gênant, en revanche, l’équipe du Pr. Raoult a exclu a posteriori six patients du groupe ayant reçu le traitement actif. Parmi eux, 1 mort, 3 patients admis en réanimation, 1 patient souffrant de nausées et 1 patient ayant “quitté l’hôpital”. Ici le problème est sérieux car au moins 4 de ces patients peuvent être considérés comme des échecs thérapeutiques. Ne pas les inclure a donc pu fausser considérablement les conclusions statistiques compte tenu de la taille réduite des échantillons testés.

• Enfin et surtout, les auteurs du rapport et de nombreux autres scientifiques pointent l’absence de données proprement cliniques sur l’évolution des patients. L’unique variable considérée est la charge virale, et il est donc exagéré voire malhonnête de clamer haut et fort, sur la base de cette étude seule, que la combinaison chloroquine et azithromycine constitue un traitement contre la maladie. A ce jour, l’unique autre publication évaluant l’efficacité de la chloroquine suggère que celle-ci n’a aucun effet, prise isolément, sur l’évolution clinique. Il est donc possible que le traitement du Pr. Raoult rende le virus indétectable dans les voies aériennes hautes (où se font les prélèvements), sans pour autant l’éradiquer du reste de l’organisme (et notamment des poumons).

Une stratégie médiatique déplorable

Ces critiques suggèrent que les recommandations du Pr. Raoult et de son équipe sont très prématurées, et certaines irrégularités mise en lumières — aussi bien dans le rapport des chercheurs anglais que sur Pubpeer — suggèrent que les analyses sont loin des standards attendus compte tenu de la gravité de la crise et des orientations thérapeutiques qui pourraient être prises en réponse à la campagne de communication menée par l’infectiologue.

Bien entendu, l’urgence sanitaire justifie la publication rapide des résultats scientifiques les plus prometteurs. Là n’est pas la question. La question n’est pas non plus de savoir qui est au juste le Pr. Raoult. Ce qui importe à l’heure actuelle, c’est que le débat public puisse avoir lieu dans de bonnes conditions sans que quiconque n’utilise la crise pour se mettre sous le feu des projecteurs.

Il y a donc de quoi s’agacer des prises de position aussi explosives qu’impudiques du Pr. Raoult, aussi prompt à s’auto-congratuler qu’à disqualifier le travail de ses pairs.

Et il y a de quoi déplorer, en miroir, le peu d’audience obtenue par l’Académie de médecine qui considère que “la libération par les pouvoirs publics de l’hydroxychloroquine pour les malades hospitalisés en détresse respiratoire ne saurait être une réponse adaptée pour des patients dont la charge virale est, à ce stade, le plus souvent inexistante et dont la maladie n’est plus une virose stricto sensu mais une défaillance pulmonaire” (communiqué officiel, ici).

Pour aller plus loin

Analyse du dernier papier publié ce samedi 28 mars par l’équipe du Pr. Raoult, encore peu conclusif malgré l’inclusion d’un nombre plus important de patients.

Illustration, Antoine Doré

Article original (Wayback Machine)